Cinq clefs pour comprendre le scandale «News of the World»

Publié le par florian-james

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Décryptage de l’affaire « News of the World » et de ses retombées sur l’empire de Murdoch et sur la classe politique.

 

Comment est né le scandale ?
L’affaire « News of the World » a en fait commencé… en 2005, lorsque Buckingham Palace a demandé à Scotland Yard les raisons pour lesquelles des problèmes de santé au genou du prince William se sont retrouvés dans ce tabloïd. L’enquête a révélé que les messageries de portables de plusieurs célébrités avaient été piratées. Deux personnes sont écrouées et le rédacteur en chef de « NoW » depuis 2003, Andy Coulson, devenu par la suite le bras droit pour la communication de David Cameron, démissionne, en niant avoir eu connaissance de ces délits. En mars 2007, Les Hinton, alors président du conseil de News International, où sont logés les titres britanniques de News Corp., explique qu’une enquête interne a conclu que le « phone hacking » n’est pas répandu dans le groupe. Une version confirmée par la Press Complaints Commission, le régulateur des médias aujourd’hui supprimé.

Si certains soupçonnent que toute la lumière n’a pas été faite, l’affaire semble éteinte jusqu’en 2009. Un article du « Guardian » remet le feu aux poudres en révélant que de nombreuses personnalités subodorent avoir été espionnées. John Yates, l’assistant du numéro un de la Metropolitan Police (dite Scotland Yard), qui a aujourd’hui démissionné, refuse de rouvrir l’enquête. Mais le « Guardian » continue sa charge et révèle en 2010 que News Corp. a réglé à l’amiable des contentieux avec des victimes potentielles d’écoutes. Des révélations confirmées par une longue enquête du « New York Times », concurrent aux Etats-Unis du « Wall Street Journal » de Murdoch. Le retour sur le devant de la scène de l’affaire « NoW » conduit à la démission d’Andy Coulson de son poste de conseiller du Premier ministre début 2011. En avril, Ian Edmonson, assistant du rédacteur en chef du tabloïd depuis 2005, est arrêté ainsi que deux autres reporters. 

Pourquoi l’affaire a-t-elle rebondi en juillet ?
La véritable explosion du scandale ne date que du 4 juillet, lorsque le « Guardian » a révélé que le portable de Milly Dowler, une collégienne de 13 ans assassinée en 2002, avait été écouté par des employés de « NoW ». Sa messagerie aurait même été vidée en partie pour faire de la place à des nouveaux messages avec l’idée d’obtenir des scoops. Des soupçons de corruption de fonctionnaires de police par des employés de « NoW » se répandent.

Tout s’est alors enchaîné très vite. Les annonceurs de « NoW » ont retiré leurs campagnes de publicité et Murdoch se voit contraint de fermer son tabloïd, né 168 ans plus tôt. Andy Coulson est arrêté le 8 juillet. Défendue bec et ongles par Rupert Murdoch, Rebekah Brooks, directrice générale de News International et ex-rédactrice en chef de « NoW » en 2002, lorsque l’affaire Milly Dowler était à la une des journaux, finit par présenter sa démission vendredi dernier avant d’être arrêtée dimanche par la police, puis relâchée sous caution. Son départ a été suivi par la démission de Paul Stephenson, le patron de Scotland Yard, et de son bras droit, John Yates.

Lundi, le « New York Times » révélait que News America avait dépensé 655 millions de dollars pour éteindre des poursuites pour espionnage et pratiques anticoncurrentielles outre-Atlantique.

Que savaient les dirigeants de News Corp ?
Depuis le début de l’affaire, Rupert Murdoch et Rebekah Brooks sont sur la même ligne de défense. Ils répètent qu’ils n’avaient connaissance ni des écoutes téléphoniques réalisées par des journalistes de « News of the world », ni des pots-de-vin versés à la police pour obtenir des scoops. Pour Murdoch, ces pratiques relèvent d’une poignée de personnes -qu’il s’agisse de personnages satellites du groupe à l’image du détective privé Glenn Mulcaire, ou de journalistes comme Clive Goodman, tous deux écroués en 2007 après avoir avoué avoir piraté des messageries téléphoniques.

Mais la suspicion reste forte sur le fait que ces pratiques aient été généralisées au sein de « NoW ». Il y a un an, l’ancien journaliste de « NoW » Sean Hoare, retrouvé mort lundi, redonnait corps au scandale en révélant au « New York Times » qu’il avait piraté des messageries téléphoniques sous l’impulsion d’Andy Coulson, alors rédacteur en chef du tabloïd. Sous le règne de ce dernier, au printemps 2007 précisément, des cadres de News International et de « News of the World » auraient été en possession de mails faisant état de « versements d’argent à des policiers corrompus par des journalistes corrompus ». La direction de News International avait alors sollicité les conseils du cabinet d’avocats Harbottle & Lewis. Celui-ci avait estimé que ces mails ne témoignaient pas d’actions illégales menées par les dirigeants de « NoW », notamment Andy Coulson. Concernant les liens avec la police, des doutes existent aussi depuis des années. Devant les parlementaires, en 2003, Rebekah Brooks avait admis que « NoW » avait payé des policiers en échange d’informations, ce qu’elle ne dit plus. News International n’a jamais accrédité cette thèse.

Les projets de succession familiale de Murdoch sont-ils remis en cause ?
La pression monte pour que Rupert Murdoch, quatre-vingts ans, abandonne les rênes de News Corp. Jusqu’ici, son fils James était considéré comme le successeur naturel à la tête de l’empire. Le scandale des écoutes pourrait remettre en cause ce schéma. Certains analystes militent pour que Chase Carey, vice-président de News Corp., reprenne la main. A moins que Rupert ne parvienne à imposer sa fille Elisabeth, de retour au sein du groupe depuis que son père a racheté sa société de production Shine.

En quoi David Cameron est-il exposé ?
Si sa proximité personnelle avec Rebekah Brooks est gênante pour le Premier ministre, David Cameron est surtout vulnérable en raison de ses liens avec Andy Coulson. La démission du numéro un de Scotland Yard, notamment parce qu’il avait embauché un ex-numéro deux de Coulson à « NoW », a conduit l’opposition travailliste à faire des parallèles : David Cameron avait lui aussi recruté un personnage compromis de « NoW ».

Selon le « Guardian », les proches de David Cameron avaient été prévenus avant les élections qu’emmener à Downing Street son conseiller Andy Coulson pourrait lui causer du tort, notamment en raison des liens de Coulson avec Jonathan Rees, un détective privé qui avait fait de la prison. David Cameron se défend aujourd’hui en disant qu’il n’avait pas d’informations spécifiques sur Coulson et qu’il a voulu lui donner une « deuxième chance ». S’il s’avérait qu’il en savait plus, le Premier ministre serait en grande difficulté. L’affaire a par ailleurs conduit à la démission des deux plus importants policiers du pays. Si le grand public est réputé plus indifférent que l’establishment aux affaires médiatico-politiques, la police est un sujet explosif. Sur ce plan, les travaillistes sont aussi vulnérables. ils n’ont pas voulu rouvrir l’enquête en 2009.

 

NICOLAS MADELAINE À LONDRES, AVEC NATHALIE SILBERT pour « les Echos »

Publié dans International

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